Serge Bord a dit au revoir à Vauvert

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L’heure de la retraite venue, après un parcours professionnel éducatif et sportif riche en déplacements et déménagements, Serge Bord avait retrouvé en 2000 son village natal, ses racines, sa maman, Paulette, sa famille et ses amis de la bande des « super champions », Jean Brunel, Jean-Jacques (dit Nana) Guiraud, Yvan Chou, René Marc, et quelques autres… Avec son épouse, Mado, ils avaient aménagé dans une coquette villa sur les flancs de Vauvert d’où ils pouvaient contempler le lointain horizon méridional, des pyramides de La Grande Motte au Pic Saint-Loup. A ses pieds, les mythiques prés du Cailar, les Clapières et le chemin d’Anglas lui rappelaient les jours heureux de sa belle et insouciante jeunesse, les abrivado et les fêtes d’antan.

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Le temps a passé, près de quinze ans se sont écoulés depuis ce paisible et nostalgique retour aux sources. Ses plus proches parents et amis ont peu à peu largué les dernières amarres. Le moment était venu de dire au revoir à Vauvert, de rejoindre sa seconde patrie, Nancy, où vivent sa fille, son gendre, ses petits enfants et toute sa belle-famille.

Ce nouvel éloignement ne saurait effacer de la mémoire collective le riche et singulier parcours de cet enfant du pays, si attaché à son village.

Serge Bord est né à Vauvert, quartier du « Calos » (en provençal, c’est le nom du bâton utilisé par le gardian), dans la rue du Nord, l’actuelle rue Jozan, le 19 janvier 1938.

Ses parents, Raoul et Paulette (née Davin) travaillaient tous deux à la distillerie des Costières, chez Sauvaire, comme on disait alors. C’est là qu’ils se sont connus. Son père, Raoul Bord, particulièrement impliqué dans la vie locale tient la chronique du Provençal qui s’appelait avant guerre Le Petit Provençal, devenu maintenant La Provence. Il reprendra la chronique locale du Midi-libre à la suite des accords de zone avec le Provençal en 1966. Les anciens se souviennent de cette époque où les quotidiens régionaux – Midi Libre, Le Provençal, Le Méridional, La Marseillaise – avec leur forte diffusion dominaient le paysage médiatique. Raoul Bord couvre tous les évènements locaux et les relate de sa plume alerte. Mais sa participation à la vie publique ne s’arrête pas là. Dès le premier mandat de Robert Gourdon en 1947, il est élu au conseil municipal qui comptait alors 23 élus. Il fait d’abord deux mandats comme conseiller municipal puis à partir du 3ème jusqu’à son décès en 1969, il sera adjoint, chargé de la sécurité (pompiers, police municipale).

Raoul Bord avec les sapeurs-pompiers
Raoul Bord avec les sapeurs-pompiers

C’est ainsi que dès son jeune âge, Serge Bord va s’imprégner de la vie du village, de ses fêtes et de ses traditions. Il suit une scolarité sans histoire, d’abord à la maternelle Victor Hugo, (directrice : Lucette Abauzit), puis à l’école primaire des capitaines, dont les instituteurs s’appelaient Monsieur Escoffier, Albert Richard, Fernand Marc et Philippe Bord (sans lien de parenté), qui exerçait la fonction de directeur. Il effectue sa 6ème et sa 5ème au cours complémentaire dans les locaux de la maison Messine (qui abritent aujourd’hui la perception) puis au collège Jean Macé après la construction du nouvel établissement. Il fait ensuite ses études secondaires au lycée Feuillade à Lunel où il se retrouve interne avec son camarade de maternelle, Gérard Vigouroux.

Au début des années 1950, le jeune Serge Bord va se découvrir une passion pour le sport, la course à pied, en particulier.

« J’ai commencé la course à pied au cours complémentaire, à Vauvert, sur les conseils et les encouragements d’un homme formidable : Fernand Réquier. Cet ancien footballeur professionnel de Nîmes Olympique, à la frappe de balle redoutable, nous dispensait les cours d’éducation physique concomitamment à sa fonction d’entraîneur du Football Club Vauverdois. C’est lui qui me faisait courir.
Fernand Réquier était un type extraordinaire, dévoué, capable de transmettre avec authenticité ses connaissances et sa passion du sport.
En 1952, il m’a accompagné à Nîmes au Challenge du Nombre, une course de l’ASSU (Association Sportive Scolaire et Universitaire) à laquelle participaient tous les lycées du Gard. J’ai gagné la course dans ma catégorie d’âge. Aussitôt au bout de la ligne d’arrivée, un gars m’a donné un carton et j’ai été recruté immédiatement, sans autre formalité, au club de Nîmes : La Jeunesse Athlétique Nîmoise.
J’ai fait 3 ans en cadets (de 15 à 17 ans) parce que la catégorie des minimes n’existait pas, puis 2 ans en juniors (de 18 à 19 ans). »

Serge Bord fait alors ses premières armes dans la compétition.

1953 : Champion du Gard à Salindres.

1954 : Vice-champion du Languedoc. Il participe aux championnats de France à l’hippodrome de Vincennes. Ce jour-là, Alain Mimoun est champion de France de cross.

Champion du Gard à La grand-Combe et champion du Languedoc de cross-country en juniors, le vauverdois commence à faire parler de lui sur les pistes d’athlétisme et à se constituer un joli petit palmarès. Il se qualifie à plusieurs reprises aux championnats de France dans sa spécialité le demi-fond (1 500 m – 5 000 m), terminant régulièrement dans les 20 premiers.

1956 - Rue de la Brêche
1956 – Rue de la Brêche
1956 - Vendanges
1956 – Vendanges

Côté études, malgré son application et son désir de réussir, il va connaître son premier échec avec l’épreuve du baccalauréat. Ses parents, pragmatiques, pensent qu’il est temps d’exercer un métier.

« A l’époque, le baccalauréat comportait une première partie, et une deuxième partie. J’échoue à la première partie, ma mère me dit :
–       Terminé ! Tu vas travailler.
C’est ainsi que je me suis retrouvé à la perception de Vauvert. J’y suis resté un an… un an et demi, jusqu’au jour où je croise à nouveau sur mon chemin le fameux Monsieur Réquier.

Employé par la mairie, il venait percevoir son salaire de moniteur sportif municipal.
–       Serge, qu’est-ce que tu fais derrière ce comptoir ?
–       Je travaille.
–     Tu travailles ? A la perception ? Allez, tu vas faire autre chose, tu vas préparer l’examen d’entrée au CREPS.
Puis dans la foulée, il me fait passer discrètement les papiers d’inscription.
–       Mais que vont dire mes parents ?
–       Débrouilles-toi.

Finalement, je me suis intéressé à ces papiers. Je me suis inscrit et j’ai passé mes concours, tout seul. Sans le dire à mes parents.
Si mon père ne disait rien, ma mère, par contre, ne cachait pas son scepticisme.
–        Je ne savais pas qu’on pouvait gagner sa vie en faisant gigoter les gens.

J’ai passé les examens au CREPS de Montpellier. De là, je suis allé à Reims (1957/1958), Orléans (1958/1959), Nancy en 1959/1960 – c’est dans cette dernière ville que j’ai connu mon épouse – et puis à Paris en 1961 à l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) ».

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Carte de Fernand Réquier le 6 juillet 1956

Les frais d’études et de pension pris en charge par l’Etat comme dans les écoles normales, le jeune sportif vauverdois n’a que ses frais de déplacement à payer. Alors pour financer ses voyages, il travaille et fait des petits boulots. Pion à Orléans, figurant de théâtre, accompagnateur d’équipes de football à Paris.

« Mes parents n’avaient pas les moyens de m’aider, alors je me débrouillais en travaillant un peu à côté.
A Paris, le dimanche, j’accompagnais une équipe minime du Stade Français et je gagnais 5 francs, je faisais de la figuration au théâtre. Je me souviens avoir porté Jean-Louis Barrault, mort, dans Hamlet. On arrivait au théâtre à 11h30 pour finir à minuit. Puis, on revenait à pied. On faisait 3 km pour rentrer à l’INSEP.
De temps en temps, je pouvais compter sur Claude Bardou, qui me descendait en camion jusqu’à Vauvert ».

En 1962, ses diplômes de professeur adjoint d’éducation physique en poche, Serge Bord reçoit sa première affectation.

« Comme je connaissais ma future épouse, je me suis fait nommer en Lorraine où s’était plus facile d’avoir un poste. Pas plus tôt nommé, je suis appelé sous les drapeaux à Nancy où j’effectue  18 mois de service militaire.

Entre temps, je me marie, puis je reprends un poste en Lorraine au lycée de Vandoeuvre.

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1962 – Service militaire
1967 - Capitaine de l'AC Nancy
1967 – Capitaine du CA Nancy

En 1967, je suis nommé au Collège d’enseignement technique de la route de Générac, l’actuel lycée professionnel Jules Raimu. J’y reste 3 ans. (1967/1968/1969). Et, c’est là que j’ai créé l’Entente Nîmoise d’Athlétisme. En 1968, j’ai porté la flamme olympique dans Nîmes. Du stade olympique aux arènes ».

Car en même temps qu’il construit son avenir professionnel, Serge continue la compétition.

Le 10 août 1962, il est champion de cross de la 6e Région militaire à Nancy où il s’impose sur un parcours de 8 km face à 150 concurrents.

En 1964, capitaine du CA Nancy, il figure en bonne place dans les différentes épreuves et championnats de Lorraine.

En 1966, il termine 6ème au cross-country d’Epinal, derrière un certain Alain Mimoun (3ème).

A la fin des années soixante Serge Bord va rendre le dossard et entamer une carrière d’entraîneur et cadre sportif.

« J’ai commencé comme entraîneur occasionnel à la fin de mon activité de prof à Nancy en 1966. C’est Robert Bobin, le Directeur technique national de la Fédération Française d’athlétisme, qui me connaissant un peu, est venu me chercher à Nîmes en me disant :
–        Il y a un poste de conseiller technique régional en Lorraine à Nancy, tu devrais le prendre.
C’était en 1970. Cela faisait un an que j’avais perdu mon père, j’ai laissé ma mère, seule, ça été un gros dilemme, un vrai déchirement.

En 1972, je suis passé conseiller technique interrégional (Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Champagne). Je suis resté à ce poste jusqu’en 1980 ».

C’est à cette époque, plus exactement en 1974, qu’un grave accident faillit compromettre son avenir professionnel et sportif. En vacances dans les Vosges, il est grièvement blessé à la suite de l’effondrement d’un hangar agricole. Le genou en compote (14 fractures), il sera immobilisé plusieurs semaines et parviendra à se rétablir après une bonne rééducation.

En 1980, il est nommé entraîneur national de saut en longueur.

05_1986_DTN adjointFin 1982, il obtient une nouvelle promotion. Il rejoint l’équipe de la direction technique de la fédération et devient l’adjoint de Jean Poczobut, chargé de la préparation des espoirs, en vue du championnat d’Europe de Vienne. Il conserve ce poste aux côtés d’Alain Piron qui a succédé à Poczobut après les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984. Il entraîne l’athlète lorrain, Norbert Brige, 5 fois champion de France du saut en longueur, 7ème aux JO de Séoul.

Après l’Olympiade en Corée du Sud et le départ d’Alain Piron, Serge Bord va prendre la barre de l’athlétisme français. Un nouveau défi pour le Vauverdois.

« Je n’étais pas candidat. Je m’étais mis dans la tête de travailler avec Maurice Houvion qui avait été contacté pour prendre la suite de Piron. Maurice a refusé, préférant s’occuper des perchistes. En octobre 1988, le président de la FFA, Robert Bobin, m’a proposé le poste, que j’ai accepté un peu malgré moi ».

Ce poste, il va l’assurer pleinement de 1988 à 1993. Sélectionneur national des équipes de France, dirigeant quelques 120 cadres techniques départementaux, régionaux et inter-régionaux, il enchaîne après les JO de Séoul, les championnats d’Europe de Split (Yougoslavie) en 1990, les jeux méditerranéens à Athènes et les championnats du monde à Tokyo en 1991, les JO de Barcelone en 1992, les jeux méditerranéens à Narbonne et les championnats du monde à Stuttgart en 1993.

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Marie-José Pérec, Monique Ewanje-Epée, chez les femmes, Christian Plaziat et les relayeurs 4 X 100m (Sangouma, Trouabal, Morinière, Marie-Rose), chez les hommes, s’illustrent dans ces compétitions.

Sa mission accomplie à la tête de l’athlétisme tricolore, il termine sa carrière comme directeur départemental de Jeunesse et Sport à Epinal de 1993 à 1998.

Nous avons rencontré Serge et son épouse au mois de mars dernier. Au beau milieu des cartons de déménagement, il a encore trouvé le temps de commenter l’actualité sportive, de nous éclairer sur la situation de l’athlétisme en France, il a continué de nous ouvrir son livre des souvenirs.

les sportifs qui l’ont le plus marqué…

Michel Jazy, champion d’Europe en 1962, 1966, un ami personnel, Jacky Boxberger, champion d’Europe en salle du 1 500 mètres en 1972, décédé tragiquement en 2001, Marie-José Pérec, triple championne olympique (Barcelone en 1992, Atlanta en 1996)

son idole absolue en athlétisme…

Karl Lewis

le niveau de l’athlétisme en France…

 » L’athlétisme se porte bien. Nous sommes la 2ème ou 3ème nation européenne avec l’Allemagne et le Royaume Uni. Les prochains JO de Rio devraient nous offrir 5 ou 6 possibilités de médailles « .

ses meilleurs souvenirs de jeunesse…

 » En 1955, nous avons créé la bande des Superchampions avec des jeunes issus des Ratapoils et des Corsaires. Nous fréquentions le bar du Louvre. L’hiver, le patron, Jean Avouac, nous offrait le Viandox. Nous animions les fêtes avec entrain aux prés, au Jeu de Ballon, sur la place de l’église… Je garde de cette époque des souvenirs merveilleux « .

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René Marc, Serge Bord, Yvan Chou, Jean Brunel devant le café des Arts Photo © collection Alain Bronnert
René Marc, Serge Bord, Yvan Chou, Jean Brunel devant le café des Arts
Photo © collection Alain Bronnert

Photos : GR, Collection Madeleine Bord, Collection Alain Bronnert

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A propos de l'auteur :

Guy Roca