Ce qui ne doit pas s’oublier

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La semaine précédant le traditionnel pèlerinage des Gitans aux Saintes-Maries de la Mer, a vu, cette année encore, se dérouler la cérémonie du souvenir devant le mémorial de la déportation des Tziganes. Ce mémorial, a été implanté en 2006 à quelques mètres près de l’emplacement du camp d’internement de Saliers, sur la commune d’Arles, en mémoire de 700 Tziganes qui y furent internés. Souvent ignorés de la majorité de nos concitoyens, les vestiges du camp furent pudiquement rasés dans les années 50.

En ces périodes de polémiques, où l’on parle beaucoup d’Europe et de paix, de fraternité, etc.., il est parfois bon de remettre certaines choses à leur place. Certains faits historiques, leurs origines, leurs conséquences, font partie de ces choses qu’il est impératif de se souvenir. C’est en présence des autorités civiles et militaires que ce 21 mai, s’est déroulé cette cérémonie 2014. Nous vous rapportons ici de larges extraits de son déroulement.

C’est Florin Sandou qui a ouvert ces cérémonies en interprétant l’émouvant hymne gitan.

 

Extraits de l’intervention d’Yves Lescure,
directeur des 
Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

Yves Lescure et Jean-Yves Planel, Adjoint au maire d'Arles
Yves Lescure et Jean-Yves Planel,
Adjoint au maire d’Arles

YLCe que nous avons entendu dans l’évocation historique et la souffrance, s’accompagne peut être de quelques commentaires. Dans la zone Nord, les nomades, les forains, les Gitans, ont été internés sur ordre de l’occupant. Ce qui caractérise Saliers, c’est que ce camp a été créé sur une décision unilatérale du gouvernement de Vichy.

Toute proportion gardée, bien sûr, on peut faire l’analogie avec le camp de Thérésensdadt pour les juifs, pour lequel on avait lancé le slogan « le Führer offre une ville aux juifs » ; On sait ce que ça été ! On peut dire un peu la même chose : le Maréchal Pétain et son régime ont offert, aux yeux de la communauté Française et internationale, un village aux tziganes. On rentre là, dans une logique et un processus répressifs. Ce qui caractérise le camp de Saliers, c’est que ce fut un camp de famille. Quand Esméralda insiste sur le caractère raciste de l’internement, on peut le mesurer à travers ce caractère familial.
Deuxième point important, c’est l’arbitraire. Car aucune décision de justice, aucune justification, sinon illusoire de sécurité, n’imposait l’internement de ces familles à Saliers. La réalité était ailleurs : il fallait montrer à l’opinion, que l’on pouvait sédentariser des populations nomades. Malheureusement, on en est aujourd’hui, toujours un peu sur les mêmes chemins. La nomadisation est un phénomène qui est relativement mal perçu et les clichés qui accompagnent les caractéristiques des populations nomades continuent de courir et, bien entendu, sont renforcés par tous les extrémismes qui sillonnent non seulement la France, mais toute l’Europe.

Esméralda Romanez, Présidente de l’Association pour la Mémoire de l’Internement et la Déportation Tziganes. Ci-dessous, pendant son allocution,  elle est entourée de quelques représentants de diverses associations gitanes.

ER – Ce camp a été construit par les internés eux-mêmes. Cinquante détenus tziganes hommes, ont été emmenés du camp de Rivesaltes pour l’édifier, et ensuite ils furent rejoints par les familles. Le sud de la France étant encore en zone libre, c’est le gouvernement de Vichy, et non les allemands, qui l’ont voulu. Cest dans cette plaine balayée par le mistral glacé de l’hiver et les moustiques l’été, que des gens sont morts de froid et par la vermine dont ils ne pouvaient se débarrasser. Au départ, ce sont des Gitans d’un peu toute la région, et ensuite il en provenait d’un peu toute la France et de diverses nationalités. Mais la plus part étaient Français.

Est-ce qu’il y a eu des déportations directes vers les camps Allemands ?

ER – Non. Mais il faut savoir qu’il y avait une voie de chemin de fer en construction pour arriver directement dans le camp. Des bombardements ont empêché qu’elle soit terminée. Ce camp a été passé aux oubliettes et a été loué à Clouzot pour y tourner le Salaire de la Peur, à la condition expresse que tout soit rasé à la fin du film de façon à ce que tout soit effacé. Aujourd’hui, ce sont des rizières fertilisées par toute la souffrance de nos anciens. Mathieu Pernod, un étudiant de l’Ecole de Photographie d’Arles, a ressorti toute cette histoire et c’est grâce à sa collaboration, que nous avons pu tarabuster la Municipalité  d’Arles pour avoir ce monument d’histoire volontairement oubliée. Que l’on veuille faire table rase de ce passé gênant, mais au moins parlons de l’histoire. L’histoire, toute l’histoire, sans en occulter la moitié.

Vous-même, et d’autres gitans, avez mis 60 ans pour avoir ce monument, que demandiez vous encore ?

ER – Oui, localement nous avons eu ce monument. Mais du coté du gouvernement, nous n’avons toujours pas le reconnaissance de l’implication directe du gouvernement de l’époque pour l’internement et la déportation des Tziganes. La lutte continue, et nous demandons la reconnaissance de ce génocide par les autorités Françaises. C’est l’implication directe : ce ne sont pas les Allemands qui nous ont interné et gardé, mais bien les autorités françaises de l’époque. On n’est pas là pour demander des comptes, mais simplement pour pouvoir parler et enseigner notre histoire, pour être reconnus.

L’histoire a évolué et actuellement, il y a des problèmes avec les roms, et les gens font l’amalgame avec tous les gens du voyage. Qu’en pensez-vous ?

ER – Ils ont raison de faire l’amalgame. On parle du peuple Rom, c’est-à-dire de l’ensemble des populations qui ont quitté l’Inde à une certaine époque, on ne sait pourquoi ils  se sont dispersés à travers le monde et ça peut comprendre les gitans Andalous, les Manouches, les gitans Catalans, etc. Il y a différentes ethnies. Les Roms ne viennent pas tous de Roumanie. Ils ont fini par se sédentariser, souvent  pour des raisons politiques : sous Catherine II, c’était obligatoire. En Roumanie, il y a eu 5 siècles d’esclavage sous des seigneurs et sous le clergé. Ceux-à, ont pu s’échapper et ont su s’adapter aux déplacements pour travailler. Les autres, après une longue sédentarisation, sont allés à l’école, ont passé des diplômes et c’est ceux que nous voyons qui sont réduits à la mendicité et, ne nous en cachons pas, à voler pour manger.  Ils n’ont pas eu la même facilité d’adaptation que nous, mais nous sommes tous le même peuple.

Est-ce que tous ces phénomènes et la forte médiatisation de tous bords, n’ont pas contribué à plus de racisme, même vis-à-vis de vous, et on entendait moins le voleur de poules ?

ER – Rien n’a changé, nous sommes toujours des alibis. Quand tout va bien, on nous nous oublie, mais s’il y a des problèmes de crise, de société, nous sommes les boucs émissaires et si vous  n’entendez plus  «  voleurs  de poules », tant mieux mais  ça n’est pas le cas, allez voir nos enfants dans les écoles… Il faut tous arrêter de dire que nous somme différents, nous sommes tous des êtres  humains. Ce n’est pas un mode de vie ou de coutumes qui peuvent empêcher les gens de vivre ensemble.

Celui qui diffère de moi, loin de me léser m’enrichit.
Antoine de Saint-Exupéry


Liberté est un film français, réalisé par Tony Gatlif en 2009, qui traite de la déportation de Tziganes.

 

 

 

Edmond Lanfranchi

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A propos de l'auteur :

Guy Roca