Rencontre à La Laune

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Aujourd’hui, rencontre à La Laune avec une jeune auteure à la résidence d’écrivains des Avocats du Diable Vauvert. Elle a publié un premier roman, Riviera, aux éditions Actes Sud.
Partant d’un fait réel – l’épidémie d’un virus ravageur dans les années 80 – Mathilde a choisi de nous proposer un roman mettant en scène trois personnages contraints de quitter l’Amérique. Journaliste spécialiste du rock pour le magazine Modzik, c’est sur fond de musique qu’elle entraîne vers l’Europe les trois personnages principaux à la recherche d’une ou plusieurs vérités. C’est avec grand plaisir que nous allons prendre le même avion.

Nous rejoignons Mathilde Janin qui a eu la gentillesse de répondre à notre invitation pour parler de son livre.

Première impression, on a tous les ingrédients du polar bien noir.

M.J. – Oui, effectivement, il y  a ce coté roman policier dans le sens où on passe son temps à tourner autour d’un événement sans que l’on sache exactement de quoi il s’agit. Il est vrai que c’est le principe du polar d’avoir cette vérité qui se dévoile dans les dernières pages. Sauf qu’il n’y a pas de meurtre, pas d’enquête, c’est un événement qui a influé sur tous les personnages du roman. Oui, c’est le procédé du roman noir dans lequel j’ai mis une femme fatale, une blonde emmerdeuse… j’aime bien les femmes fatales qui terrorisent un peu leur monde… !

Mathilde Janin

Est-ce que dans ce roman tout est vrai ou est-ce que ça sort complètement  de votre imagination ?

M.J.  Ça sort complètement de mon imagination. C’est une histoire totalement improbable qui frise la science fiction. Cette épidémie qui ravage les Etats-Unis et qui contraint ce groupe de musiciens à partir pour l’Europe, si elle sert  de toile de fond, ce n’est pas ça qui domine l’histoire. Ce qui domine ce récit, c’est  l’histoire d’un exil, d’un déracinement, c’est en tout cas ce qui habite la plupart des personnages. Quand je l’ai fini, que je l’ai relu en posant un œil objectif dessus, je me suis aperçu que j’étais partout, dans chaque personnage, que je m’identifiais à Philippe le personnage principal. J’ai découvert aussi que Nadia, la fameuse femme fatale, avait beaucoup de traces de moi dans ses cotés très pénibles. Mais aussi que Frédérique, la sœur de Philippe, était la femme que je voudrais être… donc, on est partout, sauf, que là, ça n’est que fable et mensonges.

Les personnages : il y a Philippe, ce chanteur, son épouse Nadia, son oncle, un peu glauque, le tonton Pavel et Frédérique, la sœur de Philippe. Vous dites que vous vous sentez proche de Philippe, c’est un mec complètement détraqué, plutôt psychotique… vous ressemblez à ça …? 

M.J. – Non, pas exactement… !! Quand j’ai commencé à écrire Riviera je voulais écrire sur  la psychose et la décompensation psychotique et c’est comme ça que j’ai bâti  le personnage de Philippe… et… et… disons que j’ai commencé à écrire Riviera, quand j’ai commencé à faire une psychanalyse, mais… disons plutôt que j’ai commencé à faire une psychanalyse quand j’ai commencé à écrire Riviera. Voilà, c’est plutôt comme ça que ça s’est passé. J’ai trouvé ça intéressant l’idée de ce que la psychose fait au langage. Philippe est constamment travaillé par ça, quand la psychose lui tombe dessus, tout ce qu’il connaissait du langage, tout ce qui lui permettait de désigner le monde commence à fondre, et c’est sur ce langage qui fond que je voulais écrire. Et là où il me ressemble, c’est dans cette étrangeté du langage  sans laquelle je ne pourrais pas écrire si je n’avais pas un rapport étrange à la manière dont les mots désignent les choses et aussi une part de grande sauvagerie et de grande brutalité que je pouvais avoir quand j’ai commencé à écrire… et que j’espère ne plus avoir.

Il y a une grande violence de la part de Philippe. Le rock n’étant pas ma culture, j’aurais eu tendance à penser que cette violence pourrait venir de la drogue, de l’alcool et de la musique par elle-même, ce  qui est courant dans ce milieu, et pourtant ça n’est pas le cas. Sa femme Nadia, n’est pas très tranquille non plus, la plus équilibrée, c’est Frédérique. 

M.J.   – Oui, Frédérique c’est la moins « destroyer » des trois. C’est l‘icône rock réussie, la plus talentueuse, la plus douée, pour le plaisir et la vie, même si elle a cet égoïsme monstrueux des artistes.

Vous parliez de « déracinement »,  c’est plus une errance dans ces trois lieux principaux que sont  New-York, la Mer Noire et Paris… non ?

LivreM.J. – Effectivement. Je voulais écrire sur des personnages à qui  il manquait un socle, ce socle, c’est ce que j’appellerais une « conscience de son histoire ». Ces trois personnes travaillent dans le milieu du rock. Philippe et Frédérique sont des artistes, ils sont produits par Nadia. Ils se sont connus et travaillent à New-York et n’ont aucune conscience de l’endroit d’où ils viennent.  Quand ils sont obligés de retourner chez eux, ils  doivent faire face à leur histoire et moi, c’est cette idée de retour qui m’intéressait. Qu’est-ce qui se passe quand on a tourné le dos à son passé et que d’un coup on retourne sur les lieux où on a vécu des souvenirs aussi bien merveilleux qu’atroces. Effectivement ce sont des personnages qui se retrouvent à errer dans leur histoire et leur géographie intimes.

Croyez vous que ce retour dans l’île de la Mer Noir est un souvenir heureux ? 

M.J. – Il y a des moments magnifiques entre Pavel et Nadia quand ils étaient jeunes. Quand il lui apprend à construire des cabanes, à conduire son Solex, à aller plonger avec les garçons alors que ce n’est qu’une petite fille. Ce sont des souvenirs extrêmement heureux pour elle.

Est-ce qu’ils ne sont pas un peu altérés par cette apparition fantomatique de Pavel qui rentre dans la chambre ? 

M.J. – Justement, non, pour moi, ce sont deux choses qui  coexistent, c’est ce qui fait le traumatisme, c’est que les souvenirs heureux, ne sont pas éclipsés par les souvenirs horrifiants. Jamais. Il faut faire tenir les deux dans sa tête, et c’est là que ça devient compliqué de vivre. C’est de se dire qu’une même personne peut nous avoir rendus heureux et peut nous avoir détruits en même temps. C’est ça qui fait que les deuils sont impossibles et qu’on se retrouve coincé dans sa névrose. C’est cette complexité du réel.

Au moment de leur fuite des USA et de leur hébergement dans ce  gymnase, vous donnez une description sordide du lieu : promiscuité, conditions vie dignes de certains autres camps. Est-ce que l’origine juive de Nadia vous a influencée ? 

M.J.  –  Pas du tout, mais quand on termine un livre on est surpris par ce qui reste de son inconscient dedans. Je viens moi-même d’une famille juive, ma mère est née en 1945, après la libération, mes grands parents ont échappé aux camps et, pourtant je ne me suis jamais vraiment impliquée dans cette histoire. C’est vrai que c’est frappant, l’histoire, l’identité juive sont très présentes et  parcourent tout le livre, mais c’est une chose dont je n’ai pas eu conscience.

Entretien Edmond Lanfranchi

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A propos de l'auteur :

Guy Roca