Albert Gavanon, dit « Brétou »

  • Enfant, on m’appelait « Albertou ».
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Albert Gavanon est né le 14 juin 1924 à Vauvert, au 25  rue de la République (l’actuel cabinet du Dr Villarroya) dans une famille protestante de viticulteurs. Ses parents, Edward et Suzanne, née Soulet, exploitaient deux propriétés : une appartenant au grand-père Soulet à Vauvert, au lieu-dit Valaure et l’autre à Gallician, au mas Rey, en bordure de la RN 572.

Alors, tout d’abord, pourquoi « Brétou » ?

Enfant, on m’appelait « Albertou ». Pour ma tante, Margueritte Soulet, la mère de Jean et Jacques Soulet, j’étais « Brétou ». Puis, quand j’ai commencé pour la première fois à jouer dans l’équipe de foot de Vauvert, un peu à l’insu de mes parents, les dirigeants m’ont inscrit dans la formation sous le nom de « Brétou »…  Et, ça m’est toujours resté.

Le football, cette première passion, comment ça vous est venu ?

J’ai commencé en 1941 et signé ma première licence en 1942. A ce moment-là, il n’y avait pas d’équipements sportifs, on jouait dans les rues, on jouait à la mairie, sur l’emplacement de la bascule publique, avec Paul Barthès, Roger Borie, Aimé Bastide, Jack Charray,… Aimé Pascal, qui était membre fondateur du Football Club Vauverdois, m’a alors repéré et enrôlé dans l’équipe première. Il n’y avait pas de juniors ou de cadets à l’époque, et comme je n’avais pas dix-sept ans, je jouais au début sous la licence de mon frère. C’était pendant la guerre et en dehors des jeunes, les autres joueurs et les dirigeants étaient soit des démobilisés, soit des hommes qui n’avaient pas été mobilisés pour cause de handicap ou de blessure. C’était le cas d’Elie Girard, le père de René, qui s’était fracturé la jambe juste avant la guerre. A quelques uns, ils avaient monté un club pour jouer dans les villages environnants. Il n’y avait pas de championnat. On allait jouer à Aimargues, à Saint-Gilles, le plus souvent en vélo et parfois même en calèche.

J’ai commencé comme gardien de but et j’ai toujours joué à ce poste.

Un arrêt d’Albert Gavanon contre Aigues-Mortes (saison 45-46).
A noter, le public nombreux qui assistait à ce derby.

Ce n’est qu’en 1945, après la guerre, que les compétitions ont officiellement repris et que j’ai été gardien titulaire de l’équipe première.

FCV – Saison 45-46 – Stade de la Royalette à Sommières
Debout (de gauche à droite) : René Michet (Président), Pierre Petit (entraîneur-joueur, ex pro Alès), Georges Barlaguet, Aimé Bastide, Albert Gavanon, Roger Fromental, Jack Charray, Raoul Cabanis (Dirigeant)
Accroupis (de gauche à droite) : Robert Gaussen, René Guy, Antoine Garcia, Maurice Nogier, François Ruiz
L'équipe du FCV (1945-1950)
L’équipe du FCV (saison 49-50)
Debout, de gauche à droite : Léon Richard (dirigeant), Albert Gavanon (gardien de but, blessé), Aimé Bastide, Henri Girardet, Aimé Brunel, Jack Charray, Hubert Guyot, Robert Cabanis, Fernand Saintpierre (Président du club)
Accroupis : Henri Allen, Jacques Sode, Albert Ressouche, Pierre Petit (capitaine-entraîneur, ex pro), Jean Guy

C’est aussi à ce moment-là que vous vous êtes marié avec Denise Constantin.

Oui. Plus exactement le 31 octobre 1946. Denise était la fille unique d’un couple de cultivateurs de Saint-Andiol en Provence qui avaient acheté le mas du Vistre alors qu’elle avait trois ans. Mes beaux- parents vendaient une partie de leur production, légumes, œufs, lapins, volailles, dans une petite épicerie, rue des Juifs, en face de la boucherie Ramuzat. Le magasin s’appelait « Aux produits du Mas ». Plus tard, ils ont transféré et étendu leur activité, rue Carnot, à proximité de la place de l’église. Puis après la guerre mon beau-père a vendu le mas et s’est reconverti dans les travaux publics, associé à l’époque avec Allier (fondateur de l’entreprise éponyme). Ma belle-mère a continué de tenir l’épicerie jusqu’en 1973.

…et vous avez fondé une famille plutôt nombreuse.

 Nous avons eu trois enfants : Josette, en 1948, Jean-Paul, en 1952 et Michel à peine un an plus tard. Le Docteur Arnoux, qui faisait alors les accouchements, avait salué à sa façon cette naissance rapprochée : « Cette fois-ci, Brétou n’a pas arrêté le tir ». Depuis, la famille s’est encore agrandie avec dix petits-enfants et douze arrière-petits-enfants.

Revenons à votre adolescence, à votre scolarité et au Vauvert de votre jeunesse.

Au milieu des années trente, Vauvert était un gros village qui comptait à peine 3 700 à 3 800 habitants. J’allais à l’école des garçons, rue des Capitaines (l’actuelle école Roujeon). Il y avait six classes : cinq classes primaires plus la classe de préparation au certificat d’études. Je garde le souvenir de deux maîtres en particulier : Fernand Marc, le père d’Hélène Devèze et Philippe Bord, le directeur de l’école. L’enseignement dépendait essentiellement du dévouement et de la bonne santé des maîtres. Pour l’anecdote, lorsque Philippe Bord, qui faisait passer le certificat d’études a eu un grave accident de voiture et a du être amputé d’une jambe, il n’a été remplacé qu’épisodiquement. Monsieur Marc, dont la classe était mitoyenne à la nôtre, veillait sur notre travail. Mais, pendant un an nous n’avons pratiquement pas eu d’instituteur.

Classe de Fernand Marc (1935-1936)
En médaillon : Albert Gavanon, qui portait des lunettes et Jean-Pierre Serre

Qui étaient vos copains de classe ?

René Valentin, Paul Barthès, Aimé Bastide… Mais,  c’est surtout Jean-Pierre Serre qui a distingué notre classe. Je peux même dire que c’est l’élève le plus brillant qu’ait connu l’école de Vauvert. Considéré comme l’un des plus grands mathématiciens du XXème siècle, Jean-Pierre Serre a obtenu la médaille Fields, en 1954, l’équivalent du Prix Nobel pour les mathématiques, et a été le premier lauréat du Prix Abel, créé en 2003. Evidemment, on ne pouvait pas rivaliser. C’était un surdoué. En classe, il avait réponse à tout et devançait même les questions. Pour nous permettre de suivre le rythme, le maître devait l’interrompre. « Jean-Pierre, tais-toi ! » lui disait Philippe Bord.

Les parents de Jean-Pierre Serre étaient pharmaciens et tenaient l’officine des Halles.

Nous nous fréquentions également en dehors de l’école. Protestants l’un et l’autre, nous nous retrouvions au temple et à l’école du dimanche.

La Classe 44 lors du passage au Conseil de Révision

Votre certificat d’études en poche, vous avez commencé à travailler dans la propriété familiale en 1937.

Déjà, pendant ma scolarité, j’allais travailler le jeudi au mas à Gallician où vivaient mes parents. Mon grand-père, Prosper Soulet, menait la propriété de Vauvert.

Au décès de mon père, en 1941 – je n’avais pas encore dix-sept ans – avec mon frère nous avons continué d’exploiter les vignes du mas Rey. « On n’a pas bouffé la baraque, mais… ». C’était difficile financièrement mais nous arrivions quand même à nous en sortir car il y avait moins de charges que maintenant et nous écoulions plus facilement notre production.

Alors, justement, comment se fabriquait et se vendait le vin à l’époque ?

Avant la création de la cave coopérative en 1939, chaque propriétaire rentrait sa récolte et faisait son vin en cave particulière. Lors des vendanges, entre le charroi des raisins et des marcs, l’activité autour des fouloirs, des pressoirs, des tapis et des pompes, tout le village prenait l’allure d’une ruche laborieuse et joyeuse. Le vin était confié, ensuite, à des courtiers qui eux-mêmes le revendaient à des négociants. Il y en avait cinq ou six sur la commune : le père d’Henri Allen – qui a lui-même pris la suite et avec qui je travaillais – Fernand Pattus, Louis Rouvière, de Gallician, le père de Pierre Grégoire, Oswald Verdier…Les courtiers contrôlaient la qualité des vins, prenaient les échantillons dans les foudres, mesuraient l’acidité, le degré, vérifiaient les cuves et la conformité sanitaire des produits. Ils jouaient un rôle indispensable de conseil et d’intermédiaire commercial. On vendait surtout notre vin (rouge et rosé) dans la région de Saint-Etienne où il était bien apprécié.

Sulfatage en 1944

La viticulture occupait une place centrale dans l’économie vauverdoise.

Pour le travail de la vigne (labours, taille, plantations, greffages, sulfatages, etc.), chaque viticulteur employait à l’année un ou plusieurs ouvriers agricoles. Au moment des vendanges et pour le ramassage des sarments, il recourait à une main-d’œuvre saisonnière d’hommes, de femmes, parfois, d’enfants. La viticulture faisait vivre aussi pas mal de commerçants, d’artisans (forgerons, maréchaux-ferrants, ferblantiers, tonneliers, mécaniciens, bourreliers,…) et d’autres professions (courtiers, assureurs, marchands de chevaux, vétérinaires, distillateurs, détartreurs, etc.).

Tous ces métiers, disparus pour la plupart aujourd’hui, façonnaient la physionomie et l’esprit du village. Exercés à proximité des habitations, ils identifiaient la rue, le quartier. Ainsi, sur la place Gambetta, autour du Griffe, on suivait le travail, d’Emile Laurent, le maréchal-ferrant, ses allées et venues sous le porche, entre la forge et le cheval. A l’emplacement de l’actuel bureau de tabac, Edmond Dayre réparait les harnais, les selles, les colliers. Quelques mètres, plus loin, rue Emile Jamais, s’activaient un autre maréchal-ferrant, Fernand Ramuzat, un autre bourrelier, Maurice Simon. A l’angle de la rue Carnot et de la rue Voltaire, sous la porte Saint-Louis, un troisième maréchal-ferrant, Fernand Poytevin, était plutôt spécialisé dans la réparation et la fabrication des machines agricoles, herses et charrues. Je ne veux pas non plus oublier les artisans indispensables au travail quotidien du viticulteur, les réparateurs de ciseaux, serpes et autres outils à mains : Sully Gavanon, père de Gilbert Gavanon, rue Victor Hugo ; Marcel Allieu-Duret, père de Roger Allieu, qui avait son atelier rue François Boissier, à l’emplacement de la pizzeria L’Oustalet.

En dehors de la vigne, y avait-il d’autres cultures et d’autres activités agricoles ?

Presque tous les propriétaires cultivaient des oliviers en bordure de parcelles, au milieu des vignes, ou en olivettes sur des terrains appropriés. C’était une deuxième activité, une culture d’appoint,  source de revenus complémentaires. Les olives étaient vendues pour la confiserie et pour la fabrication de l’huile dont on faisait provision toute l’année.

D’autres activités agricoles concouraient également au développement de l’économie locale. L’élevage de moutons, notamment. Il y avait pas mal de bergers à Vauvert : les Fabre, Verdier, Bouet,… un éleveur de chèvres, Arnaud, qu’on appelait lou cabraïre. Dans le village, Bonicel, Vincent, Clauson élevaient des vaches laitières à l’étable. Enfin dans les quartiers de l’Ausselon et de la plaine du Vistre plusieurs maraîchers produisaient des légumes et des fruits qu’ils vendaient ensuite sur le marché.

Mais en dehors de la vigne, l’autre activité caractéristique de la commune, c’était bien entendu l’exploitation du marais. Le roseau était récolté deux fois dans l’année. En hiver, c’était la sagne traditionnelle pour la production de paillassons, de chaume de couverture et l’été la coupe du roseau vert, qui une fois séché, servait pour l’affouragement et la litière des chevaux de travail. Au mois d’août, avant la fête tout le monde était occupé dans le marais.

Et puis tout le monde s’arrêtait de travailler pour la fête votive.

Ah oui, la fête, ça a toujours été le moment fort de l’année. Après la guerre, elle a connu un engouement extraordinaire. Le bonheur retrouvé et une volonté d’insouciance s’exprimaient dans la liesse populaire. Les terrasses des cafés, de la rue Carnot à la rue du Marché, étaient noires de monde. L’orchestre, installé au pied de la tour de l’horloge, faisait tourbillonner la foule des danseurs sur la place de l’église. Pendant plus de dix ans, de 1950 à 1960, l’orchestre Marcel Claparède et son trompettiste Bobby ont animé la fête. Henri Tuber et sa formation ont pris la relève jusqu’au transfert des arènes au jardin Paul-Allier en juillet1963.

La fête votive au Jeu de Ballon en 1961
Le défilé avant la grande course

Jusqu’alors, les courses de taureaux se déroulaient au Jeu de Ballon, aujourd’hui transformé en parking. La semaine avant la fête, nous installions des théâtres le long du mur de l’école du Château et de son prolongement, la muraillette. Avec René Guy et d’autres amis du FCV, nous allions récupérer des traverses de chemin de fer chez Albert Ressouche, notre co-équipier qui était chef de gare à Vauvert. Côté maisons, les théâtres étaient réservés aux associations, la musique, le cercle de l’Avenir, le club taurin, le cercle des chasseurs… Les jours de grande affluence, il n’y avait plus de place sur les théâtres, les spectateurs trouvaient refuge derrière les clèdes qui clôturaient les rues, sur les balcons des habitations ou, moyennant un droit d’entrée au profit de la paroisse, dans la cour de l’école du Château. Aussi, lorsque la municipalité de Robert Gourdon décida de remplacer les édifices en bois par des gradins en tubes et de planter par la même occasion des platanes en bordure, Monsieur le curé vit s’évanouir une recette presque providentielle. Ces arbres malvenus devinrent un vrai sujet de discorde.

Mais ce n’était rien par rapport à la polémique que devait entraîner le déplacement des arènes.

Non, rien à voir avec le tohu-bohu que déclencha la construction de nouvelles arènes en lieu et place du jardin Paul-Allier. Du début de l’année 1963, qui vit le lancement du projet,  jusqu’au 14 juillet, jour de l’inauguration, Vauvert vécut une intense polémique. Pétitions, articles de presse, manifestations, tout le village était en ébullition. Face aux arguments de la municipalité : impossibilité d’accueillir au Jeu de Ballon un public de plus en plus nombreux, problèmes de sécurité, réticences des manadiers et des razeteurs à participer aux courses de taureaux, les opposants au transfert des arènes mettaient en avant le risque de voir disparaître les coutumes, les traditions et le charme de la fête votive. Ils comptaient des ardents porte-paroles, Edward Libra, son neveu, Dantès Peyraque, Albert Bouzanquet, « Le Canard », et étaient ouvertement soutenus par les cafetiers qui s’estimaient, à juste titre, lésés par cette décision,

La « bronca » qui accompagna l’ultime sortie du simbèu, affublé d’une grosse clé en carton, et le défilé de l’enterrement du Jeu de Ballon, sont autant de gestes symboliques qui marquèrent la fin de ce haut-lieu de la mémoire vauverdoise.

Et aujourd’hui, quel regard portez-vous sur le déplacement des arènes ?

Incontestablement, Robert Gourdon et sa municipalité ont pris une décision courageuse et éclairée. Contrairement aux craintes exprimées par les opposants au projet, les abrivados et les manifestions taurines n’ont pas périclité ; elles se sont même développées et participent aujourd’hui à la renommée de notre cité. Mais, il faut bien reconnaître que la disparition de la piste du Jeu de Ballon et le transfert de la fête votive ont représenté la fin d’une époque et contribué à la transformation irréversible du village.

Revenons à la fête et aux animations du Jeu de Ballon, tout tournait autour du taureau.

Depuis l’abrivado du matin, la vache de 11 heures, la course à la cocarde l’après-midi, la vache pour la jeunesse, la bandido vers 19 heures, jusqu’à la course de nuit et le retour aux prés à cheval, le nombre de taureaux qui foulaient le plan et les rues de Vauvert était impressionnant. De temps en temps, un taureau s’échappait et semait la panique sur les terrasses des cafés. Mais le clou de la fête, c’était les courses de nuit.

Si la piste rectangulaire et pentue du Jeu de Ballon s’adaptait difficilement à la compétition moderne de la course camarguaise, elle se prêtait à merveille aux improvisations de la jeunesse et aux divertissements taurins. Avant la guerre, le « Quadrille Tortosa », composé de jeunes du village, Julien Lombardi, Jean Faraco, Jules Paulin, Romain « le borgne », assurait le spectacle. A la libération, Julien et Jean ont repris leur numéro de charlots. Juchés sur une bicyclette usagée ou installés dans une voiturette d’enfants, ils défiaient le taureau pour la plus grande joie d’un public hilare. Puis est arrivée une nouvelle génération d’animateurs locaux : Jean-Jacques Guiraud, « Nanan » pour ses nombreux amis, et Jean Brunel, que tout le monde appelait « Joffre ». Au début des années 60, un nouveau jeu d’arènes fit fureur : le taureau piscine. Ce divertissement qui attirait dans la piste aussi bien filles que garçons assura la transition festive entre le plan du Jeu de Ballon et les arènes Paul-Allier.

La fête, c’était aussi les près ; une tradition toujours vivace.

Bien sûr ! Nous y allions en groupe de copains, René Guy, Fernand Saintpierre, René Chambefort, Albert Guyot, Henri Allen… Les bandes de jeunes étaient moins organisées que maintenant mais la bonne humeur, la convivialité, les échanges intergénérationnels entre gens de bouvine ont toujours fait de ces rencontres dans les prés du Cailar le ferment de nos traditions.

En plus du football, vous étiez un fervent amateur des traditions taurines.

J’ai été pendant une quinzaine d’années membre du club taurin, puis du comité des fêtes. A la fin de la guerre, avec René Chambefort, Paul Plane, et quelques autres, nous nous sommes impliqués dans la commission du club taurin l’Abrivado afin de relancer les jeux taurins et les traditions. C’est ainsi que nous avons renoué avec la coutume du taureau à la corde, appelé aussi « taureau à la bourgine », du nom provençal qui désigne la corde. Au mois de janvier, deux fois par semaine, le jeudi, jour de congé des enfants, et le dimanche, à partir de 16 heures jusqu’à la nuit, on faisait courir un taureau attaché à une corde dans les rues de Vauvert.

Je me souviens du premier taureau à la corde après la Libération. Quelle histoire ! Nous l’avions commandé à Fos-sur-Mer à la manade Saurel, manade disparue depuis l’installation du complexe pétrolier de Fos. Après les formalités administratives, assurances, autorisation du Docteur Guigou, premier-adjoint au maire, nous voilà en quête d’un moyen de transport. Pas facile à trouver, un samedi à 9 heures du soir. Heureusement, le père Coquoz, membre du club et détartreur de son état, nous a prêté sa bétaillère. Au petit matin, par temps de brouillard, embarqués dans la C4 au propane de notre transporteur bénévole, nous sommes allés à Fos chercher ce taureau, un croisé espagnol qui chargeait et n’arrêtait pas de bouger… Une telle expédition ne serait plus possible aujourd’hui.

Le taureau à la corde perpétuait la Fé di Biòu jusqu’au cœur de l’hiver.

En plus d’être la plus ancienne des traditions taurines, le taureau à la corde constituait un divertissement populaire par excellence. Toute la population vauverdoise y participait car le parcours se déroulait dans tous les quartiers. Le taureau était logé dans l’écurie de Gaston Cabanis, rue Pasteur. Juste avant 16 heures, on lui passait une longue et solide corde autour des cornes et lorsqu’il sortait, il partait ou d’un côté ou de l’autre ; effet de surprise garanti. Les hommes volontaires et parfois téméraires tenaient fermement la corde et se laissaient traîner par le taureau.

Si l’hiver était rigoureux, les caniveaux qui faisaient usage de tout-à-l’égout devenaient de véritables patinoires ; ce qui pouvait provoquer de spectaculaires glissades.

Les portes et portails des maisons restaient souvent ouverts, le taureau s’y engouffrait quelquefois et mettait alors une belle ambiance.

Ce n’est qu’à la nuit tombée, après avoir parcouru tout le village, qu’on enfermait le taureau pour un repos bien mérité.

Le dernier dimanche au soir, on le dirigeait à regret vers l’abattoir, (actuelle caserne des pompiers), en attendant qu’il fasse le dimanche suivant… le régal des membres du club taurin.

Club taurin « L’Abrivado »
Repas du taureau à la corde le 9 février 1958 au café de Paris chez Louis Gayaud

Et puis, cette coutume a disparu.

Au début des années soixante, de nouvelles activités sont venues enrichir la vie associative vauverdoise. Le taureau a la corde a perdu de son engouement. L’extension urbaine, l’accroissement  démographique de Vauvert, la circulation automobile, ont eu raison de ce jeu taurin un peu passé de mode. Jusqu’à ce que les pouvoirs publics interdisent définitivement cette pratique dans toute la région à la suite de plusieurs accidents mortels.

Vous gardez un peu de nostalgie de cette époque ?

Pas de la nostalgie, la nostalgie exprime trop souvent le regret du temps passé. Non, moi je garde plutôt le souvenir attendri des gens que j’ai connus, des amis, des parents et de ces personnages haut en couleur qui pimentaient la vie quotidienne du village.

Des figures locales en quelque sorte ?

Voilà ! C’est ça, des figures locales. Il n’en manquait pas à Vauvert, mais trois d’entre-elles m’ont particulièrement marquées : Emile Laurent, le forgeron, que tout le monde appelait « le Goin », du nom d’un chanteur aujourd’hui oublié, Louis Gouvernet, qui dirigeait une petite entreprise de plantation et greffage et Charles Baltaro, l’entrepreneur de maçonnerie. Leur faconde, leur verve intarissable, faisait le bonheur du petit monde de la place Gambetta. Commentateurs de la vie locale, leurs galéjades, leurs anecdotes, naissaient le plus souvent de situations vécues.

Tenez, celle-là par exemple : Emile Laurent, voulant vanter les performances de ses nouvelles lunettes, pris un jour à témoin son ami, Charles Baltaro. Pointant l’index vers le cadran de l’horloge, il lui dit : « Tu vois la petite aiguille. Et bien, moi, d’ici, avec mes lunettes, je vois une mouche dessus ». Et Charles Baltaro, de répondre de sa voix nasillarde et hésitante : « Moi, je la vois pas… mais, je l’entends ».

De ces belles histoires du village, racontées par des personnages aussi pittoresques, à l’ère d’internet, quel changement !

C’est rien de le dire. En un demi-siècle, on a vécu un véritable bouleversement de la communication et de la vie sociale. Aujourd’hui, avec internet, on peut communiquer avec le monde entier, mais communique-t-on mieux pour autant ?

Des regrets ?

Non, pas vraiment. Il faut vivre avec son temps. Mais, il ne faut pas que les gens s’isolent devant leur ordinateur. Il est important au contraire de maintenir le lien social, le contact humain, la vie de quartier ; en un mot : l’esprit du village.

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A propos de l'auteur :

Guy Roca