De Montréal à La Laune… en passant par l’Afrique

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Deuxième partie

Pour la deuxième partie de cette rencontre chez les Avocats du Diable à La Laune, nous retrouvons Claudine Bertrand. L’auteure Québécoise nous entretient de son engagement auprès des femmes dans la littérature Canadienne et de sa deuxième passion l’Afrique.

 

Vous parliez de minorités, ce qui, dans les années 70, vous a incité à  la fonder  la revue Arcade, seule revue francophone de tout le Canada réservée aux femmes. Avant cela, au Québec,  les femmes n’avaient pas le droit de s’exprimer ?

CB – On parlait de « minorités »… à part quelques unes qui s’affirmaient , les femmes étaient très minoritaires. Les femmes étaient invisibles : dans les comités de rédaction, les comités de sélection. Comment les rendre visibles ? Peut-être sous l’influence de la France en mai 68, cette grande liberté, les femmes se sont appropriées ce langage-là.  Cette revue est apparue comme une nécessité pour des femmes qui ont voulu se retrouver autour de projets à travers tout le pays. Il y a eu beaucoup de solidarité entre les femmes. Et puis nous avons eu tout de même des subventions du gouvernement du Québec. Il est nécessaire de développer des associations de femmes, des structures ou même des revues, tant que nous ne serons pas égales. Ça été un passage obligé, mais qui  n’est plus nécessaire aujourd’hui,, maintenant on est reconnues, on peut participer à égalité avec les hommes, la revue peut disparaître.

L’heure tourne, et je ne voudrais pas terminer cet entretien sans parler de l’Afrique, votre seconde passion. Quels pays avez-vous parcouru et qu’en avez-vous rapporté ?   

A partir de 2009, je suis allé au Bénin, au Sénégal, Cameroun  et en Kabylie, soit l’Afrique du Nord que l’on connait mieux.  Ce n’était pas pour faire un circuit  touristique, mais pour plonger dans cette culture.  J’étais en mission pour le gouvernement du Québec pour voir ce qui se passait, découvrir et faire connaitre les écrits et la poésie Africaine aux Québécois et inversement. En arrivant au Bénin, je suis tombé en plein festival de poésie. Toute cette littérature ne se rend pas jusque chez nous parce qu’elle est peu publiée, à cause de la difficulté à se faire éditer. J’ai rassemblé quelques écrits. Dans une université, j’ai rencontré des professeurs qui ont réussi à  faire publier quelques livres  et depuis ce temps là, j’ai formé une association Bénino-Québécoise. Je pense  qu’un relais était indispensable pour que les ponts qu’on a créés continuent à exister là-bas sur le plan culturel.

24 Au large....En un an, j’ai rassemblé une anthologie de la poésie avec des voix (« …des écrits » en Québécois ». NDLR) du Bénin. Ces voix ne sont ni connues, ni publiées, ni médiatisées et pourtant, elles sont extraordinaires en poésie. Mon but a été de les faire connaitre en créant un site, une revue littéraire qui s’appelle  « mouvance.ca ». On a aussi rencontré des écoles, et pour moi ça été un choc, J’ai été bouleversée car c’est quelque chose d’inimaginable à voir les conditions de vie et même culturelles ; car, tous ne vont pas à l’école. On a incité beaucoup pour que les jeunes y aillent, mais c’est le fait seulement de quelques uns… ils doivent travailler, aider les parents. Me demandant « qu’est ce qu’on peut faire ?», alors, j’essaie, de chez nous,  au Québec, d’envoyer des livres, des effets scolaires. Il n’y a rien, la moitié des étudiants, travaille debout, sans pupitre. J’ai trouvé des conditions de vie et de santé assez déplorables, complètement à l’opposé de chez nous. J’insiste  pour dire que ce sont des gens qui luttent beaucoup pour leur  survie et aussi leur indépendance, même s’il y a eu la décolonisation depuis 1960 ; Ils nous ont fait visiter la route des esclaves où l’on imagine – à peu près – la marche sous un soleil écrasant avec les pieds attachés. Puis, l’arbre de l’oubli destiné à faire oublier son passé en faisant faire 9 fois le tour pour les femmes, et 12 pour les hommes. Et enfin, la porte de non retour où là, on prenait le bateau pour ne plus revenir.  Ça remue beaucoup, et quand on revient de là, on ne peut l’oublier.

Alors vous parlez de poésie,  mis à part Léopold Senghor au Sénégal, personnellement je ne connais pas l’ombre d’un poète Béninois, et pourtant leur culture s’est transmise oralement par les griots. Est ce que ça ne constitue pas quelque chose que l’on pourrait appeler les archives de la mémoire ou les archives de la parole ?

CB  – Oui, vous avez tout à fait raison, c’est ce qui m’a impressionné. L’art oral est transmis de cette manière-là. J’ai rencontré des griots, et il y a là un matériau très très riche, comme vous dites, ce sont des archives qui devraient être d’avantage consignées quelque part, que ça soit écrit  pour ne pas se perdre. Ce sont des contes, des légendes et leur mythologie est très riche comme la mythologie gréco-romaine. On voit un très grand respect des ancêtres  qui sont des grands sages qui transmettent les connaissances.  On voit aussi que le rapport à la mort n’est pas du tout le notre : pour eux, les morts ne sont pas morts, ils continuent à vivre au quotidien, ils y pensent et les invoquent  constamment. Ils ne disparaissent jamais, c’est leur coté spirituel. C’est tout un culte des ancêtres que transmettent les griots et qui devrait être consignés quelque part. Les jeunes sont là, mais comment faire éditer tout ça sans argent… ? J’ai essayé d’en rapporter pour les faire connaitre au Québec. Malgré leurs difficultés, le sourire, le chant et la danse sont toujours présents. Ils sont toujours très reliés à la nature et ce sont des valeurs qui nous rapprochent le plus de l’humanité la plus vraie et aussi le sens des solidarités.  Je pense qu’on a à apprendre un peu de cette culture.

Pour conclure, pourquoi êtes vous venue ici et qu’allez vous écrire ?

CB – Je suis venue ici pour être dans un paradis, parce que c’est un paradis où j’ai un horizon d’un bleu transparent qui fait rêver.  Je me promène tous les jours et ce contact avec la nature, c’est ce qui inspire.  Mon projet c’est d’écrire sur l’Afrique, d’aller un peu plus loin, de réunir un peu les pays dont on a parlé pour faire ressortir les points communs qui nous  relient à eux et aussi les différences. Ce sont des pays qui sont là aussi pour nous donner une lumière différente  et  nous sensibiliser à une relation au temps qui est très différente. Ils prennent  le temps de vivre alors que nous nous n’avons plus de temps. C’est ce dialogue que je veux poursuivre en emportant cette lumière dans mes bagages.

Un grand merci à Claudine Bertrand et son délicieux accent Québécois  pour cet entretien passionnant  en essayant de conserver quelques façons de s’exprimer qui lui étaient propres.

 

   Edmond Lanfranchi

 

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A propos de l'auteur :

Guy Roca